les premières années
les premières années de ta vie
elles
elles sont faites d'observation
d’appréhension
de mimétisme
d’assimilation
de sociabilisation
d’adaptation
à ce qui t’entoure
à ce monde dans lequel
je vis
tu vas évoluer
tu jauges
tu testes
tu évalues
tu apprends
constamment
tu apprends
ou plutôt
on
on t’apprend
j’ai appris
tu te souviens
tu te souviens que tu as appris à marcher
manger
parler
lire
voir
comprendre
interagir
exprimer
attendre
aimer
convenablement
tu as appris à tout faire
convenablement
tu as appris à te faire petit
comme
tu as appris à t’affirmer
m’adapter
tu as appris à observer
dans cette temporalité
tu as compris
tu as compris avant même de pouvoir poser des mots dessus
planning
cadence
rythme
temps
occupations
échanges
travail
par instinct tu répètes ces gestes
par instinct tu fais
par instinct tu ne penses plus à ces gestes
tu fais
tu es pris dedans
tu t’en rendras compte plus tard
pour l’instant
tu es à l’intérieur
tu es dans l’illusion
la première institution à laquelle je me confronte
tu ne le sais toujours pas
mais
tu es confronté à de nouveaux apprentissages
à de nouvelles personnes
à de nouveaux défis
tu es confronté à de nouvelles normes
à de nouveaux codes
tu commences à prendre conscience de certaines choses
:
tu dois réussir
impérativement
tu te dois de suivre la logique
leur logique
tu te dois de suivre le chemin
préétablie
tu dois acquérir des compétences
tu dois acquérir ces compétences dans l’ordre
tu dois acquérir ces compétences dans l’ordre auquel cas
tu es moyen
tu es faible
tu es défaillant
tu es imbécile
tu es fainéant
tu es mis à l’écart
tu es problématique
il n’y a pas de place pour la nuance
il n’y a pas de place pour la différence
il n’y a pas de place
ou
il n’y a pas de temps
tu apprends que l’échec n’est pas concevable
que la réussite est le seul mot d’ordre
le sens de la réussite
le sens de l’échec
quel regard
quelle définition
pour qui
à quel moment
que la hiérarchisation des individus est déjà présente
comparaison
concurrence
jugement
tu essayes de négocier
tu essayes de contrer
tu essayes de lutter
et aussi
tu commences à assimiler
sans complètement m’adapter
ils t'imposent ce qu’ils envisagent pour toi
tu ne comprends pas
tu ne comprends pas ce qu’ils voient en toi
car
tu ne comprends pas encore que tu es depuis longtemps
déjà catégorisé
déjà jugé
déjà rangé
déjà comparé
tu es un stéréotype social
tu es facilement comparable
tu es facilement classable
pour eux
tu n’es qu’une statistique
je ne peux pas lutter contre la fatalité
mais pour l'instant
tu caresses seulement cette perception
tu effleures seulement le début de tes futures problématiques
et
il passe
tu grandis
tu apprends
tu apprends toujours
encore
maintenant tu réalises que tu peux mettre les mots dessus
car
tu comprends
tu comprends que tu as des devoirs
tu comprends que ton temps libre est limité
tu comprends que tu passes plus de temps à travailler
aussi
tu comprends de plus en plus ta mère
ma mère
tu comprends sa fatigue
tu comprends son impatience
tu comprends sa détresse
face au manque de temps
parce que toi aussi
tu connais déjà cette fatigue
tu connais déjà ces réveils
tu connais déjà le rythme
tu connais déjà la cadence
la frustration
à ton échelle
tu sais
il commence déjà à manquer
il commence déjà à manquer
car
tu veux l’aider
ma mère
pour la première fois
tu dois aller là-bas
tu dois aller là-bas pas par envie
tu te rends compte qu’il faut commencer quelque part
tu te rends compte qu’il faut aider
je dois soulager ma mère
tu ne te rends pas spécialement compte
tu ne vois que les avantages
tu réalises que tu peux de plus en plus te faire plaisir
faire plaisir autour de toi
profiter de la vie
autrement
depuis toujours
depuis toujours si tu réfléchis
on t’explique que c’est normal
d’aller au travail
on t’explique que c’est dans la suite logique des choses
d’aller au travail
on t’explique que tu fais des études pour
aller au travail
la fameuse logique
au début
on ne t’explique pas clairement ce que tu vas faire
tu penses qu’en échange d’un temps donné
tu vas recevoir un montant donné
l’argent
le salaire
la fameuse clé pour subvenir à mes besoins
tu vis ta première expérience en tant que salarié
tu sais qu’elle n’est que temporaire
malgré tout
tu passes du temps dans ces structures
tu passes assez de temps dans ces structures pour te rendre à l’évidence
l’illusion n’est plus
tu observes
tu te mets en retrait
tu ne te sens pas légitime
car
tu n’es que de passage
mais
tu vois le travail
ce qu’il est au fond
ce qu’il est actuellement
ce qu’il sera sûrement pour toi
tu vois le manque de temps
la pression
l’énergie engagée
la charge mentale
la dégradation physique
le manque de rémunération
le manque de considération
le manque de respect
les méandres de la bureaucratie
l’absurdité administrative
le manque de logique
la déshumanisation du personnel
le manque de cohésion
l’individualisation grandissante
l’invisibilité du collectif
la liste est tellement longue
la logique
pour quoi faire
?
tu vois qu’il faut toujours faire plus
qu’il faut toujours aller plus vite
qu’il faut toujours faire mieux avec le même temps
je suis aliénée par le rythme
je ne pense à rien d’autre qu’à tenir le rythme
qui m’impose ce rythme
?
pour autant
tu ne vois pas ton salaire augmenter
mais
tu ne peux pas te plaindre
tu es remplaçable
tu es précaire
si
tu ne tiens pas la cadence
quelqu’un d’autre le fera
si
tu ne sais pas te taire
quelqu’un d'autre le fera
si
tu ne sais pas faire semblant
quelqu’un d'autre le fera
et si
tu ne peux plus faire semblant
tu continues parce que tu es dans le besoin
tu continues parce que tu es dépendante de ce système
tu continues parce que tu as en besoin
pour survivre
je lutte
je suis en contradiction permanente
je sais que mes actes
je sais que mes pensées
je sais
je sais que tout est contradictoire
mais
pour l’instant
j’ai besoin de répéter ces gestes
j’ai besoin de répéter ces automatismes
je continue
tu continues car tu ne sais pas faire autrement
car tu n’as jamais su penser autrement
car tu n’as jamais pu penser autrement
je suis ailleurs
je me demande ce que je fais là
je me demande pourquoi je répète ces gestes
je continue inlassablement
je continue alors que je rejette ce système
je le rejette mais j’en ai besoin
je suis un imposteur
je suis fatiguée
tu continues de profiter de ces structures
tu continues
tu continues encore
tu continues
tu continues tant bien que mal à subvenir à tes besoins
et
tu t’aperçois que malgré tous tes efforts
tu ne peux pas subvenir à tes besoins
tu ne peux pas subvenir dignement à tes besoins
tu ne peux pas
et surtout
tu ne peux pas sacrifier encore plus de temps
tu ne peux pas sacrifier encore plus de temps à l’école pour l’argent
pour profiter plus
“ “
pour vivre normalement
“ “
tu n’as de toute façon pas assez de temps
tu comprends que tu es pris dans cette boucle
je me suis oubliée
je me suis oubliée pendant des années
je me suis oubliée
et maintenant
?
tu comprends que tu as passé plus de temps à travailler
à te sacrifier
à te justifier
à t’excuser
à décliner
à t’écarter
à te renfermer
tu ne l’as pas vu arriver
mais
elle est là
elle est là
ta vérité
tu te sens seul
tu te sens seul est tu n’as pas de solutions
tu te sens seul
et
tu n’arrives toujours pas
tu n’arrives toujours pas à subvenir à tes besoins
tu te sens seul alors que
tu te sens seul alors que tu n’est pas un cas isolé
mais
tu n’arrives toujours pas à subvenir pleinement à tes besoins
putain de frustration
tu vois le temps passer
tu culpabilises
tu culpabilises car tu les vois
tu les vois pour la plupart
tu les vois accepter cette réalité
tu les vois accepter
tu les vois avancer
tu les vois années après années
tu les vois réussir
tu les vois avancer
tu les vois se prendre au jeu
ce jeu auquel tu aimerais participer
ce jeu auquel tu aimerais participer mais pour lequel
tu te poses autant de questions
sans réponses
je fais le strict minimum
je fais moins qu’avant
je fais moins qu’au début
je
je me demande si c’est de ma faute
je me demande si je gère correctement
je
je passe mon temps à réfléchir
je passe mon temps à chercher des solutions
je culpabilise
je tourne en rond
je tourne en rond sans cesse
tu sais que c’est assez paradoxal
tu sais que ça ne sera pas toujours comme ça
mais
tu ne sais pas réellement comment ça sera
pour toi
plus tard
tu ressens seulement l’incertitude
l'insécurité
la confusion
la précarité
le flottement
l’hésitation
la solitude
le manque de projection
le manque de perspective
le manque
le manque de long terme
tu le ressens
tu le ressens très profondément que tout va trop vite
tu l’as vu évoluer
tu l’as vu changer
tu ne sais pas quand
tu sais juste que tu perds plus facilement pied
plus rapidement
tu le sens
tu le sens que rien n’est stable
est-ce qu’elle aussi
est-ce qu’elle aussi elle le ressentait
est-ce qu’elle aussi elle le ressentait comme ça
époque
ou
passage obligatoire
transition
je veux savoir
je veux absolument tout savoir
en parallèle
tu compares tout ce que tu crois savoir
tu compares tout ce que tu crois savoir avec ton actualité
ta réalité
cette société
ce schéma
ce système
tu remarques
tu remarques que rien
tu remarques que vraiment rien ne peut le faire flancher
tu remarques que malgré tout ce qu’il pourra se passer
humainement
sanitairement
socialement
économiquement
mondialement
rien ne le fait flancher
tu arrives à percevoir qu’il s’auto alimente continuellement
tu arrives à percevoir qu’il rebondit à chaque crise
tu arrives à percevoir qu’il s'épanouit grâce à la misère
à la peur
à l’instabilité
à l’insécurité
à la précarité
à tout
à tout finalement
tu le vois
tu le vois ce système comme une bête
une bête qui se régénère continuellement
tu le vois de plus en plus
tu vois ses effets dévastateurs
tu le vois comme un nuisible
ce système
et avec ça
tu n’arrives toujours pas à comprendre
tu n’arrives toujours pas à comprendre comment peut-on rester dans cette logique
tu n’arrives toujours pas à comprendre comment il peut se maintenir
il peut se valoir
il peut rester en place
il peut se vendre comme modèle
durable
tu n’arrives toujours pas à comprendre
je ne peux pas tolérer
je ne peux pas concevoir
concevoir d’être perçue comme
un chiffre
une donnée
une classe sociale
un compte en banque
un pourcentage
tu n’arrives toujours pas à comprendre
je ne suis pas qu’une consommatrice
je ne me résume pas qu’à l’achat ou la vente
j’ai des besoins ju
j’ai des besoins que cette société ne tolère pas
j’ai besoin de me sentir en accord avec ce que l’on me propose
j’ai besoin de me sentir bien
j’ai besoin de ne pas avoir l’impression
sous couvert de ma classe sociale
sous couvert de mon genre
sous couvert de mon parcours
j’ai besoin de ne pas avoir l’impression d’être du bétail
j’ai besoin de ne pas avoir l’impression
finalement
j’ai besoin de ne pas avoir l’impression d’être prise pour une conne
tu continues à penser plus largement
tu continues à penser plus largement
mais
malgré tout
tu continues à vouloir de la simplicité
malgré tout
je veux vivre dans une société plus simple
je veux vivre dans une société qui se soucie de l’être
je veux vivre dans une société qui se soucie de l’environnement
je veux vivre dans une société qui se soucie de l’avenir
je veux naïvement croire
qu’il est possible de faire passer nos besoins avant
qu’il est possible de vivre plus équitablement
ensemble
qu’il est possible de contrer
ce capitalisme
ce capitalisme enraciné tellement profondément
qu’il nous bouffe dans tous les aspects de nos vies
de toutes les vies
tu continues à vouloir de la simplicité
là-dedans
tu reviens à la base des choses
tes besoins sont-ils satisfaits
?
tes besoins vitaux
tes besoins physiques
tes besoins psychologiques
tes besoins sociaux
tes besoins personnels
intimes
pas tous
instable
irrégulier
incertain
leur appât
l’argent
le consommable
le divertissement
la promesse d’un temps libre comblé
le contrat est signé
l’argent
l’argent quoi qu’il arrive
l’argent quoi qu’il en coûte
l’argent quoi qu’il t’arrive
l’argent
le nerf de la guerre
il est omniprésent
il s'immisce dans tes choix
l’argent plutôt que
l’argent à la place de
il s’incruste
peu à peu
il infecte
il prend de plus en plus de place
il est central
omniprésent
tu vois qu’autour de toi tout se résume à ça
l’argent
l’échange
le profit
tu remarques que plus rien n’a d’importance
tu remarques que plus rien n’a d’importance à part ça
tu le sens
tu le sens profondément
que tout gravite autour de ça
l’argent
tout se règle avec
tout se délite avec
tout
tout est en contradiction
permanente
et
il passe
il passe toujours aussi vite
tu te sens léthargique
inanimée
avec tout ça
tu n’est pas à l’aise
tu n’est pas à l’aise avec l’idée de ne pas maîtriser tous ces changements
toutes ces évolutions
tu ne maîtrise pas complètement toutes ces notions
tu ne maîtrise pas
mais
tu tends à
tu essayes de
tu tentes
je tâtonne
j’hésite
je suis encore perplexe
je suis encore
sur le chemin
entre deux choses
entre deux
entre
tu sens
tu sens qu’il est nécessaire d’exprimer
cette réalité
cette banalité
cette généralité
cette peur
cette enchaînement
cette hésitation
finalement
cette évolution
tu sens qu’il est nécessaire de mettre à plat
ce tout
et
avec lui
tu commences à saisir que toute cette porosité
peu à peu
tu commences à saisir que toute cette porosité se resserre
est-ce vraiment nécessaire de toujours être au clair
est-ce vraiment nécessaire de toujours être plus précis
est-ce vraiment nécessaire de toujours être dans l’analyse
je veux avancer
je veux avancer sans avoir constamment l’impression de mal faire
et
avec le recul
tu saisies
tu saisies que ces années là